Alors que la crise sanitaire et économique a mis à mal la dynamique de réduction des inégalités entre les femmes et les hommes, dans le monde et en France, la proposition de loi visant à accélérer l’égalité économique et professionnelle est examinée par l’Assemblée nationale, les 11 et 12 mai. Portée par la députée Marie-Pierre Rixain, elle comprend 9 articles, sur lesquels la CFTC a été amenée à se prononcer.
Des inégalités exacerbées
Les chiffres du Forum économique mondial publiés en mars 2021 sont alarmants. La 15e édition du Global Gender Gap Report montre en effet que la crise sanitaire a exacerbé les inégalités femmes-hommes et effacé une partie des progrès qui avaient été réalisés. La crise a ainsi « rouvert partiellement des écarts qui avaient déjà été comblés. »
Le rapport estime qu’au rythme où vont actuellement les choses, il faudrait compter 135,6 années pour combler les inégalités femmes-hommes, soit 36 années de plus que l’année précédente. Par ailleurs, on observe déjà que, là où le marché du travail se redresse, il le fait plus rapidement pour les hommes que pour les femmes. Ceci, alors que, dans le monde, les femmes ont davantage été affectées par la crise selon l’OIT : plus nombreuses à avoir perdu leur emploi, elles ont aussi vu s’accroître la difficulté de concilier travail et charge domestique, cette dernière étant toujours attribuée de manière disproportionnée aux femmes. Si la situation mondiale est difficile pour le monde du travail, elle l’est d’autant plus pour les femmes !
Un contexte national qui ne fait pas exception
La France ne fait pas exception. Elle perd d’ailleurs une place dans le classement du Global Gender Gap Report (et termine ainsi 6e sur les 156 pays pris en compte). Malgré la parité au sein du gouvernement et une Assemblée nationale exceptionnellement féminisée, la France se classe au 20erang en matière d’émancipation politique. Et au 58e rang pour les questions économiques ! Causes de ce mauvais classement : le travail à temps partiel des femmes et les écarts de revenus et de salaires. Le revenu des femmes ne représente en effet que 71 % de celui des hommes en France. Les constats perdurent : « à poste égal, les femmes gagnent 10,5 % de moins que les hommes ; elles ont 30 % de chances en moins d’être financées par les principaux fonds de capital-risque que les hommes ; aucune femme ne préside une société du CAC 40 ; l’écart entre le capital détenu par les femmes et les hommes s’est considérablement accru. » Aujourd’hui, l’écart de revenus, qu’il s’agisse des salaires, des retraites ou sur le capital est de l’ordre de 25 à 28%. Une bonne nouvelle toutefois : la France occupe le 1er rang en ce qui concerne la place des femmes dans les disciplines prometteuses sur le marché de l’emploi (sciences, technologies, ingénierie et mathématique).
Un projet de loi à l’examen
C’est dans ce contexte difficile que la proposition de loi visant à accélérer l’égalité économique et professionnelle, promesse du candidat Emmanuel Macron, est examinée par l’Assemblée nationale, les 11 et 12 mai. Cette proposition de loi comprend 9 articles, sur lesquels la CFTC a été amenée à se prononcer, au cours d’auditions devant la Commission des affaires sociales, par la voix de Pascale Coton, vice-présidente confédérale. Cette dernière explique que “si la CFTC approuve l’esprit de cette loi et les perspectives qu’elle dégage, elle a néanmoins rappelé que de nombreuses dispositions législatives existaient déjà, et qu’un problème essentiel du traitement des inégalités femmes-hommes résidait dans notre capacité à faire appliquer le droit. Il y a là une vraie réflexion à mener.”
Le projet de loi article par article
L’article 1er prévoit l’obligation de versement du salaire sur un compte bancaire ou postal dont le salarié est le détenteur ou codétenteur.
L’article 2 prévoit l’obligation de versement des prestations sociales sur un compte bancaire ou postal dont le bénéficiaire est le détenteur ou codétenteur.
L’objectif de ces deux articles est de parachever la loi nº 65-570 du 13 juillet 1965 visant à rendre les femmes autonomes financièrement et qui, dans l’exposé des motifs, a autorisé les femmes « à ouvrir un compte en banque à leur nom et à travailler sans le consentement de leur mari ». Le texte édicte ainsi l’obligation de versement du salaire ou des prestations sociales sur un compte dont la personne est détenteur ou codétenteur. Chaque femme pourra bénéficier d’une réelle autonomie économique et financière et les prestations sociales individualisées ne pourront pas être détournées de leur bénéficiaire, par exemple par un conjoint ou partenaire violent.
> La CFTC est favorable à ces articles.
L’article 3 donne accès aux bénéficiaires de la prestation partagée d’éducation de l’enfant à des dispositifs de formation professionnelle dès la fin de leurs droits à cette prestation.
L’accès à des dispositifs de formation professionnelle dès la fin des droits à la PreParE devrait limiter l’éloignement de l’emploi et la désinsertion professionnelle des mères, tout en leur permettant de concilier leur vie professionnelle avec leurs obligations familiales.
> Pour la CFTC, cette disposition, pour être efficicente, en particulier pour les familles monoparentales, doit être accompagnée par des services d’accueil du jeune enfant de qualité, accessibles et équitablement répartis sur tout le territoire. Un mode de garde pendant les temps de formation, et une prise en compte des contraintes d’accueil contribueraient grandement à améliorer la situation économique et sociale des bénéficiaires. Par ailleurs, un entretien pourrait être systématiquement proposé aux bénéficiaires afin de les informer de leurs droits et leur apporter un appui dans leur recherche de formation ou d’emploi.
L’article 4 étend le bénéfice de places réservées en crèches aux familles monoparentales bénéficiaires de l’allocation de soutien familial pour leur permettre de prendre un emploi, de créer une activité ou de participer aux actions d’accompagnement professionnel.
Cet article vise à instaurer un quota de places en EAJE pour les familles monoparentales bénéficiaires de l’allocation de soutien familial au même titre qu’il existe aujourd’hui un quota de places pour les personnes engagées dans un parcours d’insertion sociale et professionnelle.
> Dans une situation déjà tendue ou le nombre de places est insuffisant pour répondre aux besoins en mode d’accueil de la petite enfance, la multiplication des bonus ou quotas et le ciblage de familles prioritaires risque de rendre la situation encore plus compliquée pour les autres familles et pour les finances publiques car la subvention de la CAF serait encore augmentée. La CFTC privilégierait le développement des crèches AVIP, les crèches à vocation d’insertion professionnelle (AVIP) avec des places pour les personnes en recherche active d’emploi et/ou accompagnées vers l’emploi.
L’article 5 pose les bases légales préalables à la construction d’un index de l’égalité entre les femmes et les hommes dans les établissements du supérieur.
Malgré un démarrage difficile, l’index de l’égalité mis en place dans le secteur privé en plusieurs étapes s’est peu à peu imposé comme une façon de faire de l’égalité professionnelle un sujet de dialogue social dans l’entreprise. En les obligeant à dépasser les stéréotypes et les représentations pour analyser des données chiffrées correspondant à leur situation exacte, le calcul de l’index a obligé chaque entreprise à se confronter à la réalité. Cette prise de conscience a amené à la mise en place de plans d’action et d’actions correctives.
> La CFTC ne peut donc qu’être favorable à la mise en place d’une démarche analogue concernant les établissements supérieurs spécialisés. Là aussi, un index, élaboré conjointement avec les conférences d’établissements, dans le respect de leur autonomie, devrait permettre d’objectiver les inégalités qui perdurent et mettre en place les dispositifs adéquats pour les réduire.
L’article 6 généralise les dispositions relatives à l’index d’égalité professionnelle adoptées en loi de finances 2021, en prévoyant la publication de l’ensemble des indicateurs constitutifs du score global des entreprises, ainsi que des mesures de correction.
La CFTC approuve la logique de la loi finances 2021 qui introduit des contreparties aux crédits ouverts au titre du « Plan de relance », pour les entreprises de plus de 50 salariés. A plus forte raison quand ces contreparties visent à renforcer les obligations relatives à l’Index de l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes.
Lors de la consultation électronique organisée en urgence le 2 mars dernier par la SCCA*, la CFTC s’est déclarée favorable aux mesures prévues dans le projet de décret, à commencer par l’obligation faite aux entreprises de publier sur leur site internet, avant le 31 décembre 2022, le résultat obtenu à chaque indicateur de l’Index, et de rendre accessibles ces résultats sur le site internet du ministère du travail. Le renforcement de ces obligations – qui seront étendues aux entreprises d’au moins 50 salariés au plus tard au 1er juin 2021 – devraient obliger à plus d’analyse et de prise de conscience dans les entreprises.
Par ailleurs, ce projet de décret fixe à 85 points (versus 75) le seuil en-deçà duquel les entreprises devront définir et publier, au plus tard le 1er mars 2022, des objectifs de progression de chacun des indicateurs de l’Index, et à 75 points le seuil en-deçà duquel elles devront publier les mesures adéquates et pertinentes de correction à mettre en œuvre immédiatement.
> Pour la CFTC, alors que le télétravail généralisé et le chômage partiel pourraient troubler les résultats de l’index 2020 sur le point d’être publiés, ces nouvelles mesures devraient donner plus de pertinence au calcul de l’index et ainsi permettre de mieux restituer la réalité des inégalités dans les entreprises.
* la SCCA est la sous-commission des conventions et accords, relevant de la Commission nationale de la négociation collective, de l’emploi et de la formation professionnelle
L’article 7 prévoit que les entreprises de plus de 1 000 salariés publient, chaque année, une photographie genrée des 10 % de postes à plus forte responsabilité en leur sein dans le but d’atteindre une proportion minimale de représentation d’un sexe parmi ces postes de 30 % à cinq ans et 40 % à huit ans.
La mise en œuvre de cette mesure doit prendre en compte la situation initiale des entreprises au moment de la publication de la loi. Cette proposition tient compte du bilan en demi-teinte de la loi Copé-Zimmerman du 27 janvier 2011. Grâce à l’instauration de quotas, les femmes sont plus de 40 % dans les conseils d’administration des grandes entreprises françaises, constate l’exposé des motifs de la proposition de loi. La France est à la première place au sein de l’Union européenne. Cependant les quotas de la loi Copé-Zimmermann n’ont pas eu « l’effet de ruissellement » escompté au niveau des instances de direction des entreprises, puisque les femmes ne représentent que 17,5 % des membres des comités exécutifs.
Le texte prévoit donc que cette photographie genrée des postes à responsabilités s’accompagnerait d’une description des actions mises en œuvre par l’employeur pour atteindre une proportion minimale de représentation de chaque sexe parmi ces postes de 30 % dans un délai de cinq ans et 40 % dans un délai de huit ans. Lorsque l’indicateur publié se situera en-deçà d’un niveau défini par décret, l’entreprise disposera d’un délai de deux ans pour se mettre en conformité. Un délai supplémentaire de même durée pourrait être accordé par l’administration en fonction des efforts réalisés en matière d’égalité salariale entre les femmes et les hommes, ainsi que des motifs de défaillance.
À défaut de se mettre en conformité dans les temps, l’employeur se verrait appliquer une pénalité financière d’au plus 2 % de la masse salariale. Le versement de cette pénalité ne pourrait se cumuler avec celle applicable en l’absence d’accord ou de plan élaboré en matière d’égalité femmes-hommes ou à défaut de publication de l’index d’égalité professionnelle.
> La CFTC voit dans cette mesure un indicateur venant compléter utilement la publication de l’index et un moyen efficace de briser –enfin – le plafond de verre qui bloque encore trop de femmes dans leur évolution professionnelle. Elle espère que cette mesure, qui sera appliquée uniquement aux entreprises de plus de 1 000 salariés, sera rapidement par la suite appliquée également aux entreprises de taille inférieure. Tout en sachant que l’application de l’index mérite un bilan qui appellera des modifications.
L’article 8 entend augmenter le financement de l’entrepreneuriat des femmes en introduisant des objectifs de mixité dans la politique de soutien à la création et au développement d’entreprises de Bpifrance, s’agissant plus particulièrement de la composition des comités de sélection des projets ainsi que des équipes dirigeantes des projets bénéficiaires.
Afin de soutenir l’entrepreneuriat féminin, des objectifs de mixité devraient être introduits dans la politique de soutien à la création et au développement d’entreprises de la Banque publique d’investissement. Les actions de soutien de Bpi france en faveur de l’entrepreneuriat et du développement des entreprises seraient ainsi menées en recherchant une représentation équilibrée des femmes et des hommes :
– d’une part, parmi les bénéficiaires de ces actions ;
– et, d’autre part, au sein des comités de sélection des projets, dont la proportion des membres de chaque sexe ne pourrait être inférieure à 30 %.
> Cette proposition s’impose tant il semblerait que femmes et hommes désirant se lancer dans l’entreprenariat ne partent pas avec les mêmes chances pour obtenir les financements et les aides nécessaires. Cette situation n’est pas nouvelle mais a été exacerbée par la crise sanitaire et sociale.
L’article 9 décrit les mécanismes de compensation des dépenses des charges pour l’État et les organismes de sécurité sociale.
Cet article prévoit que les dépenses des charges pour l’Etat et la sécurité sociale sont compensées par la majoration des droits de consommation sur les tabacs. Avec des recettes atteignant 18 milliards d’euros en 2020 pour cette taxe, on peut comprendre que la PPL fasse ce choix de fléchage.
> Néanmoins, comme la CFTC a déjà eu l’occasion de le dire pour l’emploi de cette ressource à diverses fins, ce recours réflexe manque de cohérence et opacifie la stratégie publique aussi bien en matière d’égalité professionnelle qu’en matière de prévention en santé.
Pour notre organisation, il serait plus logique et plus lisible de financer ces dépenses par une partie des recettes issues des pénalités appliquées en cas de non-respect des obligations en matière d’égalité professionnelle. Pour y parvenir sans remettre en cause le montant fléché vers le FSV, nous proposons que les deux pénalités financières (pénalité en cas de persistance d’écart de rémunération et pénalité pour défaut d’accord ou plan d’action) soient fixées chacune à 1% de la masse salariale et de supprimer ainsi la possibilité pour le directeur régional de l’économie, de l’emploi, du travail et des solidarités de fixer un taux inférieur.